En Grèce, une crise migratoire chronique - Plein droit n°111 - juin 2016
Article de Laurence Pillant Doctorante géographe, Aix-Marseille université, CNRS (laboratoire TELEMMe) et Harokopio University (Grèce)
Pays d’émigration jusqu’au début des années 1990, la Grèce est devenue un pays d’immigration avec l’arrivée des migrants albanais après la chute du mur de Berlin. L’arsenal législatif mis en place alors, basé sur l’expulsion et le contrôle aux frontières, ne peut répondre au phénomène migratoire qui émerge dans les années 2000, à savoir une migration de transit. Répression et détention deviennent des modes de gestion des flux migratoires, sous couvert d’une situation d’urgence… qui dure.
Vingt-six ans après l’arrivée massive des Albanais en Grèce après la chute du mur de Berlin et la fin de la dictature d’Enver Hoxha, les migrations continuent, dans ce pays, à être gérées dans l’urgence. Si, depuis 2015, les arrivées de migrants à la frontière gréco-turque sont inédites par leur proportion, les mesures prises pour la « ?gestion ? » de cette situation par le gouvernement grec et l’Union européenne s’inscrivent dans une continuité historique de dissuasion et de répression de la migration. Pays d’émigration jusqu’au début des années 1990, la Grèce devient un pays d’immigration avec l’arrivée de migrants albanais. Cette migration qui apparaît massive et soudaine entraîne la mise en place d’instruments législatifs permettant de contrôler les entrées et le séjour des étrangers présents sur le territoire.
La dissuasion par l’expulsion
La loi de 1929, encore en vigueur à l’époque, qui vise à réguler les départs de la Grèce et non les arrivées, est un cadre législatif « ?obsolète ? » dans la nouvelle configuration migratoire [1]. Réagissant à l’arrivée des Albanais et conformément aux injonctions européennes, le gouvernement adopte en 1991 une loi qui permet l’expulsion immédiate des étrangers en situation irrégulière et renforce le contrôle aux frontières. Cette loi pose les jalons sécuritaires de la politique migratoire grecque qui repose sur l’idée que la régulation de l’immigration est une affaire de maintien de l’ordre et de santé publique [2]. On observe une criminalisation des migrants qui franchissent les frontières clandestinement et leur « rejet [...] vers les zones de non-droit social du travail informel [3] ». Bien que l’association d’enjeux sécuritaires aux politiques migratoires soit une tendance européenne, la Grèce est particulièrement précoce en la matière [4]. D’emblée, les Albanais sont vus comme des migrants économiques (metanastes) et non comme des réfugiés (prosfigues), ce qui entretient une vision négative de leur présence en Grèce et légitime le rapport de violence instauré par l’État à leur égard. Cette violence prend la forme d’« opérations balai » dans les grands centres urbains, qui s’accompagnent de reconduites à la frontière et font l’objet d’une importante médiatisation. On peut y lire la construction d’un « ennemi intime » qui passe par une nécessaire « clarification » de l’identité grecque [5], fondamentale dans l’élaboration d’un système de contrôle basé sur la répression des Albanais puis de l’ensemble des étrangers. Dès 1991, le gouvernement grec fait de l’expulsion un outil majeur de réponse à la migration albanaise. Ce mécanisme constitue par ailleurs un outil de négociation entre les deux pays, un levier politique interne et une « arme électorale » dont les politiciens peuvent se saisir [6]. Enfin, ces expulsions sont facilitées par la proximité du pays de renvoi malgré l’absence [7] d’accords de réadmission [8].
Extrait du Plein droit n° 111
« Quelle « crise migratoire » ? »
(juin 2016, 10€)
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